Fenêtre de capture : vers une protection des grands brochets !

Le constat

Le Brochet est un poisson qui a toujours fasciné les pêcheurs. C’est par ailleurs l’espèce piscicole la plus recherchée de notre département. Elle est aujourd’hui classée comme vulnérable, en raison de la dégradation de ses zones de reproduction. A l’échelle du bassin Seine-Normandie, son aire de répartition a diminué de 13 % entre les années 1990 et 2018. Sur cette même période, il est observé un effondrement des densités de poissons échantillonnées lors des opérations d’inventaires.

En complément des politiques de restauration de l’habitat de l’espèce, qui s’avèrent parfois longues et couteuses, il apparait aujourd’hui primordial de mettre en place une réglementation halieutique visant à protéger l’ensemble des individus.

Pourquoi le choix de la fenêtre de capture ?

Près de trois quarts des pêcheurs du département de l’Aisne souhaitent capturer plus de poissons, de toutes tailles mais également d’individus trophées, sans forcément avoir la volonté de plus de poissons « prélevables » (source : diagnostic SDDLP, 2020).

Les suivis réalisés à l’étranger (Canada, Finlande, Royaume-Uni) montrent que la fenêtre de capture est la mesure de gestion la plus adaptée pour à la fois favoriser la présence d’un plus grand nombre de poissons trophées, que de capturer un nombre important de poissons de toutes tailles. Le prélèvement occasionnel des brochets n’apparait pas comme un facteur limitant dans la gestion des populations, mais celui des gros brochets peut l’être pour la population (c’est d’ailleurs souvent ces poissons qui sont le plus prélevés). Le renouvellement des gros brochets est très lent dans un fonctionnement naturel de population, il est donc aujourd’hui nécessaire de protéger ces individus.

- Les gros brochets produisent plus d’œufs et sont donc susceptibles d’être à l’origine de plus de juvéniles : à titre d’exemple, un brochet de 50 cm va produire en moyenne 18 000 œufs contre 78 000 œufs pour un brochet de 80 cm (près de 4 fois plus !). Par ailleurs, les œufs des gros brochets apparaissent comme plus gros et plus riche en réserve nutritive pour le développement des alevins à naitre. Ainsi, contrairement à certaines croyances populaires, les femelles brochets sont donc de plus en plus productives en prenant de l’âge, et non l’inverse !

- Les gros brochets sont aussi ceux capables de plus grands déplacements et sur une période plus longue (nous l’avons par ailleurs démontré dans l’étude comportementale du brochet mené sur la rivière Aisne en 2021). Ce point est important pour la diversité génétique d’une population car les grands individus, par leur déplacement, vont fortement contribuer au brassage du patrimoine génétique. Ce brassage, indispensable pour la conservation des populations à long terme, va être renforcé par le fait que les grands brochets vont être capables de fréquenter plusieurs frayères au moment de la période de reproduction, et que les œufs d’une femelle pourront être fécondés par plusieurs mâles. La fréquentation de plusieurs frayères est également intéressante quand on connait la difficulté à rencontrer des conditions optimales pour la reproduction.

- La taille minimale de capture va à l’encontre de la sélection naturelle, puisqu’elle favorise le maintien dans le milieu d’individus à faible croissance. La nature est relativement bien faite : naturellement, ce sont les poissons à croissance rapide, les poissons avec une résistance forte aux maladies, les poissons avec une meilleure capacité d’adaptation qui vont se développer plus facilement ; il convient alors de protéger les individus avec ce patrimoine génétique adapté !

Pourquoi le choix d’une fenêtre [50-70cm] et pas [60-80cm] ?

Un peu d’histoire : la taille minimale de capture voit son origine sous le règne de Charles X en 1829 ; la taille minimale de capture du brochet est alors de 18 cm ! L’augmentation de celle-ci au cours des années, plus récemment de 50 à 60 cm en 2017, n’a jamais montré d’effets bénéfiques sur les populations de brochet, au contraire (cf. évolution mesurée entre 1990 et 2018). Sur le plan halieutique, le nombre de poissons prélevables par les pêcheurs a quant à lui diminué avec l’augmentation des tailles minimales !

Le choix de la fenêtre de capture [50-70cm] s’est fait sur des éléments scientifiques et adaptés au contexte local du département de l’Aisne, dont un certain nombre ont pu être directement mis en évidence lors de l’étude comportementale du brochet menée en 2021 sur la rivière Aisne.

Les brochets femelles sont capables de se reproduire entre 2 et 3 ans ; les brochets mâles sont eux matures entre 1 et 2 ans. En comparant ces données biologiques à la croissance d’une population de brochet du département de l’Aisne (obtenue à partir de l’analyse d’écailles) et à d’autres populations européennes, nous pouvons constater que de nombreux poissons se sont déjà reproduits une fois avant la taille de 50 cm. Au contraire, un grand brochet qui atteint une taille de plus de 70 cm sera encore capable de se reproduire une, deux voire trois fois. Ainsi, en permettant de prélever les brochets de 50 à 70 cm, on n’enfreint pas la « règle » qui veut qu’une taille minimum de capture corresponde à la possibilité de se reproduire au moins une fois ; en évitant les captures au-dessus de 70 cm, on permet de garder une probabilité importante que des gros brochets puissent également effectuer un certain nombre de fraies, rappelons-le, probablement en plus grande quantité à différents endroits que leurs congénères plus petits.

Aussi, cette fenêtre réduit la durée de « vulnérabilité » en raison de la forte productivité des jeunes classes d’âges de brochets : en moyenne, les brochets vont rester deux années dans la fenêtre [50-70cm] alors qu’ils seraient pendant deux voire trois années dans la fenêtre [60-80cm]. Ce fait devrait permettre d’obtenir des résultats très rapidement.

Si on s’intéresse cette fois à la structure en taille des populations de Brochet (en exemple, les données issues de l’analyse de plus de 500 heures de pêche sur le bassin de Monampteuil), on se rend compte que les brochets de tailles supérieures à 80 cm sont très rares (1% des captures) alors que les captures de brochets de plus de 70 cm représentent près de 6% des prises. Une limite haute de la fenêtre de capture fixée à 80 cm ne permet donc de préserver qu’un faible nombre de grand reproducteur (la mesure a quasiment le même effet qu’une taille minimale fixée à 60 cm…), alors qu’à une limite de 70 cm, on protégera un nombre plus conséquent d’individus.

Et les pêcheurs dans tout ça ?

D’un point de vue halieutique, sur l’aspect « poisson prélevable », davantage de prises pourront être prélevées par le pêcheur avec une fenêtre [50-70cm] (22% des captures) qu’une fenêtre [60-80cm] (11 % des captures). Les brochets dont la taille est comprise entre 50 et 70 cm sont nettement plus nombreux et le prélèvement raisonné dans cette tranche ne pose pas de problème. Par ailleurs, dans cette fenêtre, la mortalité naturelle ou accidentelle liée à la pêche est encore importante (à la différence des poissons plus âgés) et là aussi, l’impact d’un prélèvement raisonné est moindre.

Sur l’aspect « capturabilité », il est reconnu que les grands brochets sont susceptibles d’être capturés plusieurs fois dans l’année lorsque la remise à l’eau se fait de la meilleure des manières ; ainsi, protéger un plus grand nombre de brochets devrait permettre d’augmenter le nombre de captures des pêcheurs (qui ne recherchent plus aujourd’hui forcément à prélever leur poisson). Des résultats positifs ont déjà pu être observés dans le Rhône, département novateur sur l’instauration de la fenêtre de capture, où trois fois plus de brochets de taille supérieure à 75 cm ont été capturés sur les secteurs étudiés dès la première année après l’instauration de cette mesure de gestion.

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Il aurait pu être fait le choix d’une autre fenêtre [60-80cm] afin de ne pas modifier la réglementation par rapport à l’ancienne taille minimale de capture de 60 cm, dans l’esprit de ce qui avait pu être testé sur les plans d’eau fédéraux. Mais nous croyons que le rôle de la Fédération de Pêche est aussi de pouvoir prendre en compte les éléments nouveaux (basés sur nos suivis scientifiques) et de faire des choix ambitieux, dont l’unique objectif est d’offrir une pêche de qualité à nos adhérents grâce à une gestion durable du cheptel piscicole.

Quand et où ?

Cette mesure s’appliquera dès le 1^er janvier 2023, sur l’ensemble des cours d’eau, canaux et plans d’eau de deuxième catégorie du département de l’Aisne. Elle est validée par la signature d’un arrêté préfectoral et pourra être contrôlée par tous les services de police de la pêche !

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